Virginie Otth | Photographe

FAKE DREAM

Rolex Center

2015

Virginie Otth a placé devant les fenêtres du grand patio des images de grottes et de points d’eau où pousse une végétation humide. On voit des cailloux, des rochers, une rivière, une grotte, des arbres, de la mousse. Ce sont des coins de nature assez sauvages photographiés ici sans présence humaine.
Le format de ces photographies est impressionnant : il s’agit d’une image qui recouvre toute la hauteur de la fenêtre et qui permet une forme d’immersion : on a l’impression que l’on peut entrer dans cette grotte, pénétrer dans ce plan d’eau.
Le dispositif visuel mis en place par Virginie Otth participe aussi de cet effet immersif ou invasif : elle a imaginé une structure métallique qui place les photographies devant les baies vitrées et qui les occulte. On ne sait pas très bien où se trouvent ces images : sont-elles très proches du vitrage, presque collées ou bien à distance ? Elles semblent flotter devant les fenêtres, elles sont à la fois imposantes et légères. Un coin de nature, à l’échelle du lieu, vient habiter l’intérieur du Rolex Learning Center.
Comme ces photographies sont placées devant les fenêtres, elles introduisent aussi de la pénombre, une ombre même dans ce bâtiment qui met si magnifiquement en scène la lumière.

Sur cette même colline, Virginie Otth a déposé un objet, un objet étrange, composé d’un trépied sur lequel se trouvent un miroir et une photographie collée sur un miroir.
Un petit trou nous inviter à regarder. On voit un gros caillou sen trois dimensions se poser l’espace environnant. La photographe met en abîme le Rolex Learning center qui devient le décor du gros caillou. Dans cette vision, l’architecture du bâtiment est dévorée par le rocher et la végétation qui pousse. La nature semble envahir l’espace intérieur. Préfiguration d’une ruine ?
Ce dispositif photographique s’inspire de l’invention de l’architecte de la Renaissance italienne Filippo Brunelleschi qui a construit à Florence la coupole de Santa Maria del fiore. Brunelleschi était un bâtisseur et il a aussi mis au point un outil visuel pour permettre la représentation de l’architecture. Cet outil très efficace a été utilisé par les peintres pour développer la peinture d’espaces en perspective, une des avancées importantes dans l’histoire de la représentation. Cette invention d’une portée considérable pour l’art occidental surgit dans notre présent, réutilisée aujourd’hui par une photographe. On le sait, la peinture et la photographie entretiennent des relations constantes depuis l’invention de la photographie au début du 19e siècle. Virginie Otth se situe aussi dans cette histoire, qu’elle relit. En réinterprétant la tablette portable de Brunelleschi, elle dialogue avec une invention ancienne qu’elle transporte dans le monde contemporain. Une circularité se met en place : un architecte de la Renaissance invente un dispositif pour peindre des architectures en perspective ; cette invention est développée et utilisée par les peintres ; une photographe du 21e siècle reprend ce dispositif pour faire voir autrement une architecture contemporaine.

Virginie Otth est une exploratrice des multiples dimensions de la photographie ou plutôt du photographique. Elle pratique les différentes techniques de la photo. Elle travaille dans des formats différents, du petit au très grand, monumentalisant, comme ici, la photographie. Elle s’intéresse à l’optique et à l’histoire de la photographie. Elle interroge aussi les relations entre l’œil et le cerveau et déconstruit la perception visuelle. On pourrait dire que la photographie est un immense territoire, un terrain de jeu aux mille facettes. Ici dans Fake DREAM, elle joue la carte de l’intrusion du visuel dans le réel, elle confronte photographie et architecture, elle injecte de la nature dans l’architecture et nous pose des questions sur ce que l’on voit et comment on voit.

Un haïku de Bashô, grand maître japonais qui a mis en place dans la deuxième moitié du XVIIe siècle la forme classique du haïku. Un poème traduit par Nicolas Bouvier :

Pour un instant
Recueillons-nous sous la cascade
En ce début d’été.

Véronique Mauron